
Sissi,
Salan Habré:
Même
Combat
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Prof. Jamal Mimouni
Département de Physique
Université Mentouri, Constantine
Vice President, Arab Union for Astronomy and Space Sciences
Il
y a des personnages qui se ressemblent sans s'assembler. Au risque de mettre à dure
épreuve les connaissances des lecteurs sur l'histoire contemporaine, nous nous risquerons de mettre dans un même panier trois
tristes sires dont les vicissitudes de l'histoire ont fait que leur parcours divergent
malgré qu'ils sont fait du même bois, celui des tyrans. Il s'agit de Salan, la tête
pensante de la première tentative de coup d'Etat militaire de l'Europe
contemporaine, Hissène Habré le sanguinaire dictateur Tchadien et Pinochet Africain, et "Sissi imperator" le général
félon et nouveau dictateur Egyptien. Beaucoup d'autres combinaisons auraient
été possibles vu la richesse de la faune de dictateurs, mais cette combinaison
particulière liée à la terre africaine présente des similitudes frappantes, et une poignante leçon
de morale.
Nous
accorderons cependant à Sissi la part de lion dans nos propos vu la proximité
des évènements qui le concernent, notamment le massacre de Rabia al-Addawiyya dont nous commémorons les deux ans et l'impitoyable
répression contre l'opposition qui se déroule devant nos yeux. Un élément
additionnel est la turpitude de l’Egypte de Sissi envers la cause Palestinienne
et son revirement historique qui est bien le résultat direct du coup d’Etat. La
position déshonorante des gouvernements Occidentaux n'était pas trop inattendue
au vu de l'histoire contemporaine qui démontre à chaque fois que leurs grands
principes s'évaporent lorsqu'ils interfèrent avec leurs intérêts. Ici c'est le
support de leurs intérêts vitaux, ou figure en bonne place la politique
d'Israël, en échange de leur silence pour la terrible répression. En fait, on
ne peut comprendre la position de l’Egypte vis-à-vis de Gaza sans une
rétrospective concernant l'Egypte de Sissi, ce quoi nous nous attellerons à
faire en premier lieu.
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Sissi et ses soutiens |
Egypte: La révolution de
2011 mise en prison
Le
gouvernement actuel en Egypte est le fruit d'un coup d'état exécuté en juin
2013 sous couvert de manifestations populaires anti-Morsi et par lequel le Président élu démocratiquement fut déposé, le gouvernement
démis, le Parlement - cette autre instance élue- dissoute, et la constitution
juste adoptée par référendum suspendue puis abrogée. Toutes ces instances
légales furent suspendues au nom d'une force illégitime non issue de la volonté
populaire. Même le mouvement de contestation civil Tamaroud fortement manipulé par l'armée par ailleurs, ne demandait, faudrait-il le
rappeler, que des élections anticipées. Tous les éléments d'un coup de force
étaient là aveuglants de clarté. Et pourtant le reste du monde, à part
l'Organisation des pays Africains, la Turquie et les pays d'Amérique du Sud,
hypocritement se refusa de le nommer pour ce qui l'était, notamment un coup
d'état militaire. Ce dernier exécuté dans la pure tradition du tiers-monde, fut
couvert par les "forces vives" de la nation, les partis libéraux, les
socialo-nasséristes, El Azhar, l'Eglise Copte, une partie des Salafistes, et un cache sexe du nom de Mohammed el-Baradei, prix Nobel de la Paix dont son parti était crédité
de quelques pour cent des intentions de vote dans toute consultation populaire.
Bref un aréopage de forces que rien n'unit à priori si ce n'est, pour des
raisons assez évidentes, leur manque de courage de se présenter à toute
consultation électorale pour changer démocratiquement les choses.
Puis
ce fut le massacre un certain 14 août 2013 sur la place de Rabia al-Adawiyya
[1]
juste après l'Aïd, sous
les caméras du monde, d'un bon millier d'opposants au coup d'Etat, des hommes,
femmes et enfants mitraillés, brûlés, écrasés. S'ensuivit une répression
sanglante et des vagues de centaines de condamnations à mort de dirigeants et
cadres du parti vainqueur, ainsi que de simples manifestants lors de procès
grotesques et iniques qui feraient rougir de jalousie les dirigeants Nord
Coréens.
Le double problème de
légitimité du général Sissi
En
fait, le général Sissi a un double problème de légitimité. Tout d'abord en
toute logique, il aurait du être proscrit pour avoir entériné toutes les
décisions du cabinet de Morsi ou il siégeait pendant
tous ces mois et pour lequel le président Morsi fait
maintenant l'objet d'accusations souvent grotesques telles que intelligence
avec l'ennemi, complot contre l'Etat Egyptien, sabotage de l'économie nationale.
Puis il renversa la table et se rebella contre Morsi qui était constitutionnellement le chef des forces armées.
Dans
le premier cas, il est coupable selon le «nouvel ordre» Egyptien d'avoir fait
partie du gouvernement Morsi et donc d'avoir trempé
dans ses "complots" et autres malversations dont ce gouvernement est
accusé et il devrait donc être arrêté et jugé pour purger une peine de prison
comme la plupart des autres ministres de Morsi
[2]
. Dans le second cas, il
est un général félon, traître à la légalité constitutionnelle durant l'ère Morsi pour avoir organisé un coup d'état contre
son supérieur hiérarchique et pour lequel dans tous les états au monde la
punition est le peloton d'exécution.
Le chant du cygne du
nationalisme arabe
Comment
expliquer que l’Egypte, ce chantre du panarabisme depuis Nasser ai pu devenir
le partenaire de Netanyahou dans l’agression sauvage contre Gaza ? Comment
comprendre qu'une coalition militaire arabe se constitue avec pour but l'écrasement
d'une rébellion tribale des Houthis au Yémen alors
que le Monde Arabe du Soudan à l' Irak et la Syrie en passant par la Libye
croulent sous des crises immensément graves, et qu' Israël l'ennemie déclaré de
tous sans aucune voix discordante se complait dans son occupation sauvage et sa
colonisation rampante des territoires occupés?
En
fait, ce nationalisme arabe qui est le socle idéologique de bien des pays
arabes et dont l’Egypte en était le héraut, est devenue une coquille vide. La
Ligue Arabe qui n’a jamais brillée par son efficacité est devenue quant à elle
dans les mains des pays du Golf qui achètent les décisions par leur influence
financière malgré leur poids démographique négligeable, et est même
accessoirement au service de la propagande Israélienne
[3]
.
Comment
une armée qui s’est distinguée lors de la guerre d’Octobre 1973 pour
reconquérir le Sinaï et que l’on pensait être imbue de nobles sentiments de
solidarité pour un peuple frère dans la tourmente peut-elle accepter sans aucun
état d’âme apparent de jouer de complice dans un jeu immonde de massacre comme
a subi l'été dernier les quelque deux millions de Palestiniens de Gaza,
puis de sceller encore plus hermétiquement sa frontière avec eux? Si l’histoire
nous était contée à rebours, nous
aurions considéré comme impensable que l’armée Egyptienne accepterait sans se
révolter cette ignominie pour laquelle l’Egypte n’a finalement rien à gagner si
ce n’est l’impitoyable jugement futur de l’histoire. Ceci est bien la preuve historique que ce
nationalisme arabe était surtout un fonds de commerce juteux et que lorsqu’il
ne rapporte plus de dividendes, on le sacrifie aux intérêts immédiats.
Salan et le quarteron de
généraux félons
Un événement
extraordinaire
[4]
se déroula le 21 avril 1961, des généraux de l'armée Française dont Salan
[5]
prennent possession de
"l’Algérie et du Sahara" dans une tentative inédite de changer
l'ordre institutionnel Français. En d'autres termes se déroula une tentative de
coup d'état militaire dans un balbutiement incroyable de l'histoire contemporaine
alors que l'on aurait pensé que ce type d'action était révolue en Europe. Dans
son discours célèbre, le président de Gaulle vêtu de son uniforme de général
pour la circonstance décrivit le coup de force: "Voici que l'État est bafoué, la nation bravée, notre puissance
dégradée, notre prestige international abaissé,...", s'arrogant les pleins
pouvoirs pour le contrer.
Le
général Salan était devenu comploteur pour la défense d'une vision coloniale de
la France, alors que de Gaulle, guidé par une "certaine idée de la
France", avait eu l'intelligence de reconnaître que l'aventure coloniale
était révolue. Pour ce dernier, la France se devait d'accomplir au lendemain de
la seconde guerre mondiale sa mue en une nation industrielle moderne si elle
voulait renouer avec sa grandeur et ne pas être marginalisée. Vaincus et
condamnés à mort, les auteurs de cette tentative désespérée d'inconditionnels
de l'Algérie Française se retrouvent vilipendés et au banc de l'histoire. Le Salan
de la fin des années 50, c'est le Sissi contemporain qui lui par contre a
réussi son coup et est courtisé par les grands de ce Monde.
L'Algérie brade son passé
révolutionnaire
S'il
y a rien de trop étrange que les gouvernements Occidentaux se pressent pour
accueillir Sissi le bourreau de Rabia al-Adawiyya chez eux
[6]
, que l'Algérie officielle l'ai
accueilli la première le 25 juin 2014 sur son sol en route vers le sommet de
l'Union Africaine représente une déchéance morale impardonnable. Il était
jusqu'alors ostracisé par les gouvernements du Monde et c'était sa première
visite officielle à l'étranger. L'Algérie gardait en effet toujours un prestige
des causes Tiers Mondistes justes inentamé
[7]
malgré ses vicissitudes
internes.
En
fait, accueillir Sissi
[8]
à Alger, celui qui a
déclaré la guerre à son propre peuple, c'est comme accueillir le général Salan à
Alger toujours si ce dernier, dans un scénario de politique fiction, aurait
réussi avec ses compères son coup de force contre de Gaulle, en supposant bien
sur que l'Algérie eu été indépendante. Pourtant, ces généraux putschistes et
ces autres tortionnaires tels que Massu et Aussaresses
[9]
qui initièrent l’armée
Française à l'usage routinier de la torture et les exécutions sommaires, ont autant
de crimes sur les mains que le général Sissi. Ce dernier a couvert sinon
ordonné tous les massacres de manifestants en Egypte depuis le coup de force. Il
y a eu quelque 2000 tués par le régime de Sissi parmi les opposants au coup
d'état alors que l'on parle de 2000 à 4000 suspects « disparus » lors
de la bataille d’Alger. Mais respecter le sacrifice de nos martyrs, être imbu d'une
éthique révolutionnaire devrait vouloir dire que les crimes d'un Mohamed Sissi
sont aussi condamnables que ceux d'un Raoul Salan, Jacques Massu ou d'un Paul Aussaresses. L'Algérie lui a permis par ce geste gratuit de
se refaire une respectabilité auprès de ses pairs Africains après que l'
adhésion de l'Egypte à l'Union Africaine était gelée, utilisant pour cela son aura
acquis au prix du sang de ses martyrs.
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Habré avec Reagan et Mitterand: Le tyran et ses employeurs. |
Le Procès de Hissène Habré à Dakar, un Message d'Espoir
Hissène Hibré, un
dictateur que l'on aurait presque oublié aujourd'hui, a gouverné le Tchad
pendant les années 80 avec une férocité inégalée. Il exécuta un putsch contre Goukouni Oueddei, président du
gouvernement de transition nationale qui avait mis fin à la dictature de Malloum et Tombalbaye. La contre
offensive de Ouddei allié à la Libye fut repoussée
par Hissène Habré grâce à l'aide massive de la France
et des Etats Unis. La France qui n'accepte pas de putsch chez elle en supporte hors
de ses frontières sans remord voire même les commandite pour ses intérêts géostratégiques.
Comme Sissi aujourd'hui, Habré avait les faveurs des grandes puissances, la
France et les Etats Unis notamment, son armée et sa police équipées massivement
par leurs soins. La mission de Habré désormais au pouvoir, était d'une part de
prévenir les desseins expansionnistes de Kadhafi dans la région sub-saharienne,
mais aussi de guerroyer continuellement contre ses troupes afin de l'affaiblir.
Tout cela alors que l'on fermait les yeux sur ses exécutions à grande échelle d'opposants
qui atteignirent à la fin de son règne selon Human Rights Watch quelque 40.000 victimes. Il est clair que les
crimes de Habré n'auraient jamais atteint cette intensité sans le support
massif et illimité des Etats Unis et de la France à sa machine répressive. Finalement
il s'enfuit quelques heures avant la chute de la capitale Ndjamena en 1990 pour
un asile au Sénégal organisé par les services secrets français.
Rattrapé
par la justice Africaine 22 ans après, il est jugé aujourd'hui à Dakar
[10]
pour crime contre
l'humanité. Or malgré les différences certaines, il y a des similitudes fortes
entre son cas et celui d'Abdel Fattah Al-Sissi. Comme
le régime de Sissi, celui de Habré est accusé de torture systématique
d'opposants politiques, de milliers d'arrestations arbitraires et d'exécutions
extrajudiciaires massives.
Comme
les Etats Occidentaux ne permettront jamais que soit jugé un dictateur qui agit
dans leurs intérêts, l'espoir pourrait donc venir de l'Afrique. La Cour pénale
internationale (CPI) basée en Europe exemplifie bien cet axiome, elle n'a
assigné en justice jusqu'à présent que des dirigeants Africains déclassés, mais
jamais un Netanyahou, un Ben Ali quant il sévissait, ou un Sissi.
Sissi, Salan, Habré: Trois
Destins pour un même Crime
Nous
avons vu comment les grand principes moraux dont se targuent les gouvernements
Occidentaux sont un décor trompe-l'œil. Les trois renégats sus-cités on eu des fortunes diverses malgré leur forfaiture commune. Salan et consorts
sont vilipendés et à la poubelle de l'histoire, tandis qu' un Sissi est porté
aux nues en Occident, alors qu'un Habré est sur le banc des criminels jugé par
une court de justice Africaine.
Et
quant bien même la politique se nourrit rarement de morale, il y a dans le
déroulement des choses une causalité comme fil directeur: pour comprendre
comment l’Egypte a pu s'associer à l’armée Israélienne dans leur tentative
d’écraser Gaza, il faut prendre en compte l’état de déchéance morale des
instigateurs du coup d’état sanglant contre le gouvernement légitime de Morsi. Ceux qui peuvent massacrer leur propre peuple et
confisquer sa volonté n’ont certainement aucun scrupule à collaborer avec
Tsahal contre les Palestiniens. Ceux qui rechignent à appeler un coup d'état
militaire pour ce qu'il est et déploient pour son instigateur le tapis rouge
n'ont aucune dignité ni intégrité.
Nommer
les choses par leurs noms, en plus d’avoir la vertu de parler un langage de
vérité dans un paysage médiatique saturé de manipulation et de dissimulation,
est aussi fondamental pour garder une capacité de compréhension de la
situation. Le Monde du XXI ème siècle est un Monde ou
s'allient symbiotiquement la cruauté des uns et l'hypocrisie des autres.
[1]
Voir : http://lequotidienalgerie.org/2015/08/13/le-massacre-de-rabia-adawiya-afin-que-nul-noublie/
[2]
Circonstances aggravantes
pour Sissi, en tant que Ministre de la Défense et chef de la Sécurité Militaire,
il était nécessairement au courant de tous les "complots" de son
Président qu'il n'a pas dénoncés.
[3]
Mark Regev, porte-parole
du gouvernement israélien dans ses interviews considère
clairement la Ligue Arabe comme un partenaire indispensable aux négociations
et un gage de « sérieux » de l’initiative de cessez le feu
Egyptienne. Par contre, la proposition Américaine du Vice Président Kerry, le plus proche allié d’Israël fut
descendue en flamme !
[4]
Déjà un putsch militaire s'était déroulé le
13 mai 1958 organisé quoique dans un contexte différent, notamment celui d'un
gouvernement socialiste faible et en crise, et ou un Comité de Salut Public
adressa d'Alger un ultimatum au président Coty qui fit tomber la quatrième
république et amena le général de Gaulle au pouvoir.
[5]
Salan était un des quatre généraux
"usurpateurs" comme les décrivit de Gaulle, mais vu son rôle de
premier plan dans l'insurrection de mai 1958 et son role futur comme dirigeant
de la fameuse organisation terroriste OAS après l'échec du putsch de 1961, il est pris ici comme la
personne la plus représentative du "quarteron".
[6]
Nous parlons de l'Italie,
la France, l'Allemagne et bientôt la Grande Bretagne. La Russie de Poutine le
fait aussi de manière quasiment routinière et pour la troisième fois cette
semaine, mais le régime russe ne met pas en avant la rectitude morale en
diplomatie comme principe premier.
[7]
Ainsi il aurait été
impensable sous le feu Président Boumediene qui apostrophait publiquement et
jugeait les leaders Arabes à l'aune de leur support à la cause Palestinienne que
l'Algérie en soit arrivée à brader des principes fondamentaux de solidarité.
[8]
En plus de sa nature
impitoyable envers ses adversaires, Sissi à tous
les symptômes d'un mégalomane à forte tendance
messianique, prétendant ainsi avoir rencontré Dieu deux fois et se sachant porteur
depuis son plus tendre âge d' une mission sacrée à accomplir.
[9]
Le général Aussaresse qui fut plus tard conseiller des Bérets Verts
américains, a inspiré en grande partie le programme contre insurrectionnel Phoenix
au Vietnam, qui est en fait un remake de la bataille d'Alger à l’échelle du
pays. Il avait fait sienne cette formule : « dans la guerre [contre] révolutionnaire,
l'ennemi c'est la population ».
[10]
Son
procès qui devait débuter le mois de juillet 2015, a été reporté au 7 septembre
2015. Voir plus de détails à: «Lorsque l’Afrique juge les crimes contre l’humanité
(Procès Hissène Habré)»: Le Quotidien d’Oran du 10
août 2015.